Feu ! Chatterton: interview

Après les avoir découvert au festival des Indisciplinées en novembre 2014 et les avoir revu aux Vieilles Charrues (ici même), nous avons enfin pu rencontrer Feu ! Chatterton avant leur concert aux Arcs de Quéven. Interview :

 

Speedweb : Votre album Ici le jour (a tout enseveli) est sorti depuis bientôt quatre mois. Quel accueil a-t-il reçu ?

Arthur : Un bon accueil ! On a eu beaucoup de chance d'avoir été soutenu par les médias ; ça n'a l'air de rien mais c'est important, c'est ce qui permet aux gens de recevoir le disque et de le partager. En fait ce n'est qu'une première étape car ceux qui viennent aux concerts ce ne sont pas eux mais le public. Depuis début octobre on a fait une trentaine de dates et de voir un public aussi accueillant et chaleureux nous surprend beaucoup.

Sébastien : C'est vrai qu'on a fait l'album dans des conditions d'isolement tous les cinq ainsi qu'avec notre ingénieur du son, Samy Osta, et on ne savait pas du tout comment l'album aurait été reçu. On avait une forme d'appréhension mais la sortie de l'album nous a soulagés.

 

Speedweb : Vous évoquez l'isolement quand vous parlez de la réalisation de votre album : il a été conçu entre Paris et Göteborg en Suède. C'était vraiment votre intention ?

Sébastien : C'était le premier truc ouais. On voulait partir de Paris parce qu'on est très vite dissipés par les amis, les soirées.... Alors on l'a imposé à notre ingénieur du son qui avait déjà en vue un studio dans le sud de la Suède pour pas cher avec un matériel un peu particulier dont une table de mixage qui a un son des années 70 et qu'on aime beaucoup. Il y avait aussi l'avantage de pouvoir rester trois semaines, ce qui est énorme pour un premier album et la possibilité d'expérimenter des nouveaux sons, arriver dans le studio avec des titres pas encore finis... C'était vraiment génial pour nous.

Speedweb : Quels ont été vos premiers contacts avec la musique ?

Sébastien :C'est très ancien mais les souvenirs notables sont nombreux. Je pense à un concert de Radiohead qui m'avait vachement marqué dans mon adolescence et la musique qu'écoutait mon père à la maison, le jazz.

Arthur : Mon premier contact est un peu similaire au sien sauf que je ne suis resté qu'un auditeur, je ne joue d'aucun instrument aujourd'hui encore. Quand j'étais gamin dans la voiture on écoutait Neil Young, Charles Trenet puis Brassens à la maison... Et plus tard, à l'époque où les autres membres du groupe allaient voir Radiohead en concert, on partait en vacances et de temps en temps Clément et Sébastien jouaient de la guitare ensemble. Je me souviens que c'était un vrai choc, il se passait quelque chose de physique, de magique et j'avais envie de faire partie de ce cercle là. C'est peut-être à cause d'eux que je fais de la musique aujourd'hui.

 

Speedweb : Avez-vous d'autres passions que la musique ?

Sébastien : Oui, il y a forcément un côté littéraire dans le groupe mais on tient aussi particulièrement au cinéma et aux arts plastiques qui sont des arts qu'on ne maîtrise pas vraiment et avec lesquels on en vient à les trouver assez mystérieux. C'est une partie du groupe qu'on ne voit pas directement mais l'image en général, sans être une pratique principale, fait partie d'un domaine artistique qui nous influence beaucoup.

Arthur : C'est vrai qu'on a essayé de faire avec notre musique une sorte de vecteur plus général d'image et quand on nous dit que notre écriture est cinématographique ça nous fait plaisir ! On associe la musique à notre passion de la littérature et de la poésie parce qu'on aime raconter des histoires sous la forme poétique.

 

Speedweb : Vous avez déjà fait des concerts à l’étranger ?

Sébastien : Oui, en Suisse, en Belgique et au Canada.

Speedweb : Et qu’en est-il des pays non-francophones ? Est-ce que les textes en français ne sont pas un obstacle à l'exportation de votre musique ?

Arthur : On aimerait bien parcourir le monde entier : l'Amérique Latine, le Japon... Mais pour l'instant c'est sûr que c'est beaucoup plus facile avec la musique qu'on fait de voyager dans les pays francophones. En Suisse on reçoit un super accueil et en Belgique aussi, c'est vraiment chouette de voir que tous les pays francophones sont sensibles à notre musique ! On espère quand même que notre musique peut se passer de la compréhension de la langue. Quand on nous dit que certaines chansons touchent vraiment des gens au Mexique ou dans des pays où on ne parle pas le français ça nous touche d'autant plus parce qu'on se dit que l'émotion qu'on essaye de partager se transmet au-delà des mots.

 

Speedweb : Le mardi 19 janvier vous étiez à la Sorbonne, dans l'amphithéâtre Richelieu pour un concert diffusé en direct sur Arte. Est-ce que ce décor particulier ajoute une autre dimension à votre musique ?

Sébastien : Le lieu était assez particulier, cet amphithéâtre où il y a une grande statue face à la scène, qui nous regarde pendant le concert et au dessus de nous un tableau qui est très beau.

Arthur : Il représente Apollon et les neuf muses. C'est un cadre assez majestueux et qui représente un art classique qu'on aime bien. Mais il faut aussi relever le défi : jouer dans un endroit pareil ça peut soit être trop pompeux, soit être comme un cours magistral rébarbatif. Il faut réussir à rendre l'autre facette de notre musique à ce moment là. On considère qu'il y a deux pôles dans la musique qu'on fait, il y a cet aspect très classique, la beauté classique à la française, cette recherche d'une certaine élégance et en même temps une grande sauvagerie et le rock 'n’ roll qu'on aime faire sur scène. Dans cet endroit, c’est d’abord la solennité qui prime, à nous d’y apporter le Rock ‘n’ roll. L'amphithéâtre rend les choses très conviviales, il y avait un rapport très direct et quelque chose d'unique, d'autant que c'était très difficile d'y accéder. Tout le monde se sentait un peu privilégié : nous de jouer là, le public de pouvoir voir un concert dans cet endroit qui n'était pas fait pour ça... Ça apportait un degré d'intimité supplémentaire.

 

Speedweb : Quelle est votre plus belle expérience de scène ?

Arthur : C’est compliqué parce que, par chance on commence à en avoir vraiment beaucoup des expériences de scènes. Ca fait un an et demi qu'on tourne, on a fait plus de cent concerts et il y a eu plein de moments incroyables !

Sébastien : Les Vieilles Charrues cet été c'était assez fort. Il pleuvait pendant toutes les balances et tout d'un coup le ciel s'est ouvert et le public s'est rapproché. On était un groupe qui n'était pas attendu spécialement, on commençait à 15 heures mais on a vu les gens sortir des campings, se rapprocher et à la fin du concert tout le monde était à fond. C'était la première fois qu'on jouait sur une aussi grande scène donc c'était vraiment impressionnant pour nous.

Arthur : Quand la saison des festivals arrive et qu'on joue en plein air, il y a quelque chose de vraiment chouette mais sinon dans les salles fermées comme au Trianon récemment, c'était vraiment fort. Il y a plein de beaux moments, même quand des problèmes arrivent sur scène, les amplis pètent, les guitares sautent... Il faut meubler et trouver quoi faire mais ça reste de très bons souvenirs.

 

Speedweb : Le lendemain des attentats du 13 novembre vous avez maintenu votre concert à Saint Lô, contrairement à d'autres artistes. C'était un geste symbolique ?

Arthur : On s'est posé la question le matin alors qu'on était tous en deuil et choqués. Mais très vite, c'était une évidence de le faire car ce qui a été atteint, c'est l'idée que des gens communient ensemble en écoutant de la musique. Malheureusement on s'est rendu compte qu'avec ces évènements que ce qu'on faisait avait plus de sens qu'on ne l'imaginait. On ne savait pas que les gens viendraient mais tout le monde était là et c'était vraiment palpable parce que chaque personne était venue avec cette envie de montrer qu'elle avait du courage. Aussi, à la fin du concert on s'est dit que ça valait vraiment le coup parce que même pour nous c'était une manière de mieux vivre ce deuil là et d'avancer. C'est étrange mais on s'est aussi dit qu'on avait plus de chance que les autres à ce moment précis de faire notre métier pour appréhender ces événements là ; en janvier par exemple avec les attentats de Charlie Hebdo et la prise d'otages à l'Hyper Cacher, on enregistrait notre album dans notre studio et on se disait que ce qu'on faisait était complètement dérisoire. On avait envie d'agir mais on ne savait pas comment alors qu'aujourd'hui le simple fait de faire notre métier devient symbolique puisque c'est ce qui a été touché.

Speedweb : Vous avez pensé à faire une chanson dessus ?

Sébastien : Non, c’est rare qu’on pense à faire quelque chose, il n’y a pas de préméditation. C’est pareil pour le Costa Concordia, un morceau sur un fait d’actualité, ce n’est pas quelque chose de réfléchi en amont... Là en l’occurrence, pour l’instant ce n’est pas venu, peut-être que ça viendra, je ne sais pas... C’est tellement directement lié à nous, parce qu’on a joué au Bataclan, on habite dans le quartier, on connait des gens qui étaient là-bas, c’est une salle qui appartient à notre tourneur du coup les gens de notre équipe ont été touchés très directement, donc c’est quand même particulier.

Arthur : Après, c’est sûr que dans ces moments là on a tous envie de faire quelque chose, mais je ne parle pas qu’en tant qu’artiste, tout le monde se dit « merde faut que je fasse quelque chose », on est désemparé, c’est important et c’est frustrant de ne pas trouver le moyen de le faire. Et en même temps on nous donne une tribune, alors c’est délicat de la prendre parce que ça peut paraître tout de suite opportuniste, obscène, arriviste... C’est compliqué que ce ne soit pas mal interprété. De toute façon ça nous imprègne tous maintenant, donc ce sera peut-être là, diffus, dans nos chansons. Mais un message très direct c’est délicat.

 

Speedweb : Pour votre album vous avez travaillé en groupe, ce travail en groupe n’est pas difficile ?

Sébastien : C’est difficile, ça c’est sûr...

Arthur : Mais en même temps tout travail qui se mérite est difficile ! Si ce n’était pas difficile, ce ne serait pas intéressant.

Sébastien : Après le fait d’être en groupe c’est une chance énorme, parce que comme tout le monde participe à la composition, chacun va apporter une idée, une influence, et parfois un regard un peu extérieur. Donc on a vraiment une sorte de démocratie à cinq, de contrôle, de rediscussion, ça fait avancer les titres et ça les rend bien meilleurs que ce qu’ils sont à la première idée.

Speedweb : La composition se fait donc tous ensemble...

Arthur : Oui, enfin, ce n’est pas « on jette une idée et tout le monde accourt sur le morceau de poulet » (rires) Ce n’est pas une grande bagarre, ça se fait en plusieurs étapes. Il y a une idée à deux, quelque chose qui émerge, puis ça passe dans les mains de la section rythmique, basse-batterie, puis ça revient. A un moment on se retrouve tous ensemble à jouer... C’est tous ensemble, mais pas forcément en même temps. Et ça peut durer longtemps. Tu peux le laisser dans un tiroir et le laisser mûrir, ça prend du temps et ce n’est pas grave, le but n’est pas de le terminer tout de suite. Il y a des choses qui sont là, qui accidentellement se perdent et puis reviennent et a la fin quand c’est fini on se dit : « ah tiens ça c’est la succession de pleins de heureux hasards ».

Speedweb : Et pour le texte : c’est plutôt lui qui se pose sur la musique, ou bien l’inverse ?

Arthur : C’est pareil, il n’y a vraiment pas de règle. D’ailleurs il n’y a pas le texte et la musique, il y a des bouts de texte – c’est très rare qu’il y ait un texte entier - et ensuite on dit : « tiens j’ai besoin d’une musique pour ce texte ». Parfois il y a un couplet, parfois un refrain. Parfois oui, le texte est long, donc il impose à la musique de devenir plus longue, parfois l’inverse. Et puis il y a des idées musicales qui prennent du temps à être développées donc ça fait une longue piste, alors on me dit «  mais faut que t’écrives une suite parce que là on veut vraiment aller dans cet endroit musical, on a besoin que tu dise quelque chose de plus ».

 

Speedweb : Vous entamez une grande tournée jusqu’en mai, voire...

Sébastien : Jusqu’en automne !

Arthur : Jusqu’en Octobre, même Décembre je crois !

Speedweb : Comment vous appréhendez cette tournée ?

Sébastien : Là, ça fait déjà deux ou trois mois qu’on tourne, on a déjà fait 35 dates. On a beaucoup tourné avant aussi, mais sur cette tournée, je pense qu’on l’appréhende assez bien. Souvent, je pense que c’est pareil pour tous les musiciens, il y a un stress d’arriver dans des salles vides, ça c’est le gros stress. Au début on a vu qu’il y avait du monde, donc on l’appréhende assez sereinement. Après c’est assez fatiguant mais franchement on passe des super moments et on de la chance parce qu’on est très bien entourés, on a notre équipe avec nous qui nous suit sur la route, donc on est assez choyés !

Speedweb : Vous arrivez à tenir le rythme ?

Arthur : On est obligé ! (rires) C'est-à-dire que c’est vraiment intense quand même, par exemple là on arrive Beauvais, donc pour venir ici à l’heure on a dormi dans le bus, un petit bus de 8 places, ce n’est pas un bus avec des lits... Enfin voilà, ce n’est pas grave, c’est un mode de vie. C’est assez intense mais comme à la fin il y a le concert, c’est ça qui te tient. C’est quand même un privilège, une chance de se dire : «woah tous ces gens qui viennent pour nous voir », qui sont déjà plus ou moins séduits, qui ont envie de passer un moment avec toi, c’est encourageant. Donc quand on vient on fait le maximum, on donne tout.

 

Speedweb : Maintenant que vous êtes connus sur la scène française, quel regard portez vous sur les premières années du groupe ?

Arthur : On est encore dedans, on vient de sortir un premier album, c’est encore nos premières années...

Sébastien : Par rapport au tout début... je ne sais pas si on porte un regard, on n’a pas d’analyse... en tout cas on est content ! C’est allé très vite, le premier titre qu’on a sorti en clip c’est La Mort dans la Pinède, en 2012, donc ça fait moins de 4 ans et maintenant on est déjà à tourner, faire pleins de festivals, on va faire plus d’une centaine de dates, donc tout est allé très très vite, je pense qu’on a pas de recul. Pour nous c’est la continuité de cette période. Le groupe a 4 ans en fait.

Arthur : Raph’ qui est à la batterie n’est là que depuis 3 ans, donc en vrai, sous cette forme ça fait 3 ans seulement. La seule chose dont on se rend vraiment compte, c’est qu’on a beaucoup de chance parce qu’il y a de nombreux musiciens en France et vivre de sa musique c’est assez rare. Et nous on a eu de la chance dans le sens où c’est venu sans qu’on en ait à se poser la question, jusqu’ici, sans difficulté. On a travaillé, pour faire notre musique et progressivement c’est devenu notre vie.

 

Speedweb : Pour finir, que représente la mystérieuse couverture de votre album ?

Arthur : À vous de l’imaginer... C’est une peinture d’Odilon Redon, qui représente, on ne sait pas trop, une femme ou un homme bleu, recueilli, les yeux fermés et autour d’elle ou de lui : la lumière qui serait peut-être la lumière qu’elle à ou qu’il a à l’intérieur. On aimait bien cette chose là. Comme si on était capable de voir rejaillir autour ce qu’il y a à l’intérieur... Le jour a tout enseveli...

 

Florian & Joris 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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