This is Disiz

Nous avons pu rencontrer Disiz avant son concert prévu à 23h45 aux Vieilles Charrues.

A la fois rappeur, écrivain, comédien, acteur, créateur d’une marque de vêtement et d’un label… Disiz est indéniablement un artiste complet !

Un rap singulier qui ne fait pas toujours l’unanimité, mais qui séduit son public et a attiré un bon nombre de festivaliers devant la scène de Kerouac.

 

J’ai noté plusieurs sortes de métier j’imagine que c’est quasiment le même au final ?

Oui, enfin à part la marque de vêtement, mais sinon tout part de l’écriture. Quand je suis au théâtre, quand je joue dans un film, quand j’écris dans un morceau de rock, de rap ou lorsque j’écris un bouquin, tout passe par l’écrit, en fait c’est ce que j’aime le plus je pense.

Le fait que tu t’exerces à pleins de domaines différents traduit ta peur de t’enfermer ?

Oui il y a un peu de ça, mais c’est aussi parce que dès que je prends l’habitude de faire quelque chose je m’ennuie ! Et tout sauf l’ennui !

En 2009 tu annonçais l’arrêt de ta carrière de rappeur, dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ?

J’étais très aigri, très écœuré, j’avais plus du tout l’envie de rapper par rapport à tout l’environnement qu’il y a autour de cette musique là, des sales histoires que j’avais aussi personnellement, et puis une forte envie de m’essayer à autre chose et de teinter ma musique d’autres influences que du rap pur et dur.

Pour autant tu es resté en France alors que d’autres on fait le choix de partir s’installer aux États-Unis. Toi ce n’était absolument pas ton but ?

Non, moi je suis né en France. Je suis français. J’aime que le public auquel je m’adresse comprenne ce que je suis en train de lui dire, donc non je n’ai pas pensé à faire carrière aux États-Unis où je ne sais où.

 

On l’a dit tout à l’heure tu as fait du théâtre et du cinéma, peut-on trouver des traces sur scènes des apprentissages que t’ont apporté ces diverses expériences ?

Je ne sais pas, en tout cas si on le ressent c’est tout à fait inconscient. Ce que je sais c’est que l’appréhension que j’aie au théâtre je ne l’ai pas du tout quand je monte sur scène en tant que rappeur ! Quand je vais monter sur scène tout à l’heure je n’aurais pas ce que l’on appelle le trac alors qu’au théâtre c’est différent, j’ai vraiment peur. 

Ce qui est curieux, parce qu’au théâtre tu vois moins la foule, le public est dans le noir dont on guette les murmures !

Bah en fait c’est le principe du maître de cérémonie c’est-à-dire que tu dois faire en sorte que l’ambiance quand tu arrives soit différente de celle quand tu pars. Au théâtre c’est différent, enfin je parle du théâtre comme si j’en avais fait beaucoup mais j’ai juste fait Othello de Shakespeare…

Mais c’est quand même Othello de Shakespeare !

Voilà, et l’exigence du metteur en scène qui s’appelle … était telle qu’à chaque représentation il devait y avoir quelque chose de nouveau, même s'il n’y avait que moi qui le ressentait il devait y avoir quelque chose de nouveau. Il fallait donc se mettre en danger à chaque fois ! Le fait d’être exigent sur ça est une manière de mettre du vrai et de la spontanéité à chaque représentation. Donc se mettre en danger c’est le chemin par lequel on réussit à être vrai et authentique dans les émotions ressenties par le personnage. C’est extrêmement prenant et extrêmement dur !

Et le phrasé aussi est différent !

Le phrasé et différent ! Surtout que ce n’était pas un Shakespeare adapté en mode banlieue, au contraire c’est plutôt le banlieusard qui a dû s’adapter à Shakespeare !

On dirait qu’au-delà de la passion, le leitmotiv de l’écriture c’est d’aller dans les endroits où on ne t’attend pas.

Ce n’est pas volontaire, c’est par rapport aux opportunités. Si je détaillais tout ce que l’on me propose et que je refuse on dira : « Ah ouais quand même ! » (rires). Je fais en fonction de ce qui m’intéresse. En fait je lisais Shakespeare avant de le faire au théâtre parce que j’aime raconter des histoires à travers ma musique. Et le story taler de toute l’histoire des story taler c’est Shakespeare ! Quand on m’a demandé d’incarner Othello, je me suis dit ok là je vais y aller !

Et ça ne t’a pas donné envie d’écrire en anglais ?

Non, la langue française est une langue que j’aime vraiment, vraiment, vraiment beaucoup. Et je ne me vois pas écrire autrement qu’en français !

Tu étais présent au meeting de Ségolène Royale je crois, quel regard as-tu sur la politique actuelle ?

Plus jamais déjà ! C’est-à-dire que se faire instrumentaliser pour quelqu’un qui fait de la musique… c’est con ! En plus ça fait partie de tout ce que je n’aime pas en politique, ce genre de petits calculs faciles. Je ne sais pas si c’était directement elle ou les gens qui travaillent avec elle, et peut importe. Se dire : « On va prendre une figure de la banlieue pour avoir le vote des banlieues » ça fait partie d’une espèce de mécanisme qui ne me correspond pas et puis surtout qui est trop éloignée des vrais problèmes auxquels on est confrontés ! Je préfère en parler dans ma musique.

Quel rapport as-tu avec ces jeunes de banlieue justement, que te disent-ils ? Se sentent-ils concernés ? Es-tu une sorte de porte parole ?

Je pense qu’ils m’apprécient pour ce que je fais en musique, c’est tout. Après il n’y a pas de représentant type du jeune de banlieue parce qu’on est pleins ! On est pleins de couleurs différentes, pleins d’envies différentes. On a des archétypes certes, dans notre manière de nous exprimer par rapport au milieu d’où l’on vient. Il y en a qui font des études, d’autres pas, d’autres qui sont en prison… un peu comme partout en fait. Mais je n’ai pas tellement l’occasion de parler de ça avec eux. Seulement lorsque je participe à une émission de télévision et que ça se passe bien on me le dit et pareil quand ça ce passe mal !

Comment se construit-on par rapport à toute l’influence américaine du hip-hop ? On s’inscrit contre, on s’inspire des bonnes choses ou on n’y pense pas du tout ? Parce qu’il y a des codes très précis…

Oui bien sûr, enfin je pense avoir moins de codes par rapport à tout divertissement américain que Johnny Halliday ! Johnny Halliday rien que de part son nom a beaucoup de codes des américains ! Après effectivement je me suis construit à travers la culture américaine, mais on va dire tout ce qui est rap et les films c’était à l’adolescence ! La littérature et les grandes figures politiques comme Martin Luther King ou d’autres, c’est surtout ça qui m’a permis de me construire. Au même titre que Tolstoï qui lui n’est pas américain…

On parle de hip-hop américain, peut être que tu écoutes du hip-hop venu d’autres pays, je pense notamment au Canada où il y a des groupes intéressants… ?

Au Canada à part Drake ? Enfin il doit y en avoir d’autre, mais en ce moment à part Drake au Canada je ne vois pas trop de référence… Moi je travaille avec des canadiens qui m’envoient des instrumentos. De toute façon je n’écoute pas que du rap, du tout ! Et je n’écoute pas que de la musique américaine, du tout ! Je m’inspire donc de pleins de choses.

Disiz, lors de la conférence de presse

 

Et sinon suivant les publics et les pays que tu fais, peut-être y a-t-il un regard différent sur ta musique ? Certains sont plus attachés à la musicalité d’autres aux paroles ?

J’ai un public en Afrique, Afrique francophone évidemment ! Je ne me produis que dans des pays francophones de toute façon. Après je pourrais mentir et dire que je fais des tournées mondiales mais pas du tout ! (rire) D’ailleurs c’est vrai que la manière dont on va m’écouter en Afrique n’est pas la même qu’en France. J’ai l’impression que là bas on accorde plus d’importance aux textes, alors qu’ici, enfin ça dépend des concerts mais on prête généralement plus d’importance à l’énergie…

Alors qu’il y a une grande tradition de paroliers en France !

Oui, oui, mais c’est différent ! Après je dis ça, mais mes derniers albums : Lucide, Extra-lucide et Translucide doivent sûrement leurs succès aux textes. En tout cas je le ressens comme ça.

Et du coup quand tu écris est-ce que tu penses à ça ou est-ce que tu essayes au contraire de te fermer à toute influence ?

Ah ouais ! Si tu penses à une cible c’est que tu fais de la pub ! Après ce n’est pas forcément mauvais, mais moi je n’y arrive pas !

Pourtant il faut adapter sur scène. Ce n’est pas pareil en studio et sur scène où il faut faire des mimiques, donner la parole… C’est long ce processus ?

Non pour ça je suis bien épaulé, quand je suis seul devant ma feuille blanche. En gros j’ai le total contrôle sur ce que je fais en studio et après quand je suis sur scène j’ai des musiciens. Mon batteur m’aide beaucoup, celui qui est aux platines m’aide aussi.

Donc c’est comme si tu rendais ta copie et après ils te font des propositions pour le concert ?

Oui voilà après on développe ensemble, c’est-à-dire que moi j’ai des idées, je balance une tram, je dis la manière dont j’aimerais que ça se passe et eux me font des propositions. J’ai aussi l’aide des ingénieurs lumière qui est vraiment importante, parce qu’un noir scène fait au bon moment change beaucoup de choses !

Un mot peut être sur Orelsan, il était sur notre plateau il y a quelques jours et il nous disait être fasciné par l’étendue de ta palette.

Ah ouais ? Cool, bah merci ! C’est quelqu’un que j’apprécie et c’est marrant en 10 ans de carrière,  j’ai trouvé un pote depuis 2/3 ans… Je suis assez proche de lui, hier on a passé toute l’après-midi ensemble à parler de cinéma, de dramaturgie, de la manière dont on écrit un film, de théâtre et de littérature…

Justement lui a notamment dirigé une partie de ces clips !

Oui, et il s’intéresse beaucoup à cela en ce moment. On a toujours des espèces de terrains d’entente comme ça et des sujets qui nous passionnent tous les deux ! Quand il est arrivé beaucoup on dit « Oui mais c’est un blanc, il vient de province pourquoi il rappe ? Je leur ai dit « Mais vous êtes complètement con ou quoi ? Pourquoi est-ce que vous reproduisez exactement la même chose que ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ? Il rappe bien c’est tout, il rappe bien ! Mais toi à côté de lui et tu vas voir il va te mettre à l’amende ! » Ce que je demande à un rappeur moi c’est de bien rapper c’est tout.

Est-ce que tu pourrais faire la démarche comme le groupe new-yorkais Du Wu Tang de publier une compilation avec ces samples ? Et du coup dissocier ta musique des paroles, pour montrer que les samples ont une vrai utilité, sont puisés dans un répertoire soul et que c’est toute une histoire, toute une continuité sur plusieurs décennies.

Oui, après ça leur correspond bien parce que c’est leur marque de fabrique, moi au contraire j’ai essayé d’avoir mes propres musiques si on peut dire même si ce n’est pas moi qui compose tous mes titres. Ce que je préfère faire c’est citer mes références quelles soit littéraires ou cinématographiques, ça me correspond plus. 

Qu’est-ce qui revient le plus souvent dans les références que tu évoques qui pourrait paraître étonnant pour des gens qui te connaissent ?

Je ne sais pas ce qui pourrait paraître étonnant, mais ce qui revient le plus en tout cas ce sont des références de bouquins.

On va finir par la question rituelle que l’on a posée à tous les artistes. Qu’y a-t-il de plus breton en toi ?

Ça ne va tellement pas être original ! Les crêpes, ça c’est sûr et certain ! J’ai une épouse qui est très, très forte en cuisine et qui fait des crêpes extraordinaires ! Elle est une grande crêpière professionnelle, c’est magnifique !

Ce qui est dangereux pour un artiste car il ne faut pas prendre trop de poids !

Oui d’ailleurs j’en ai pris un peu, donc vivement la fin des festivals que je puisse me reposer et reprendre la boxe ! (rires)

 

Audrey Belghit

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